Même si elles portent atteinte à la vie privée de salariés, l’employeur peut produire devant le Conseil de prud’hommes des photographies extraites du compte Messenger d’un salarié si leur production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur.

 « 5. Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

6. La cour d’appel a d’abord constaté, s’agissant de l’introduction et la consommation d’alcool au temps et sur le lieu de travail, qu’une aide-soignante attestait que quatre infirmières du service de nuit, dont Mme [T], s’adonnaient à la consommation d’alcool au sein de l’hôpital, dans le cadre de soirées festives, parfois pendant la durée du service et a retenu que, même si cette attestation ne répondait pas au formalisme de l’article 202 du code civil, elle était suffisamment crédible dans la mesure où ce témoin avait au préalable alerté ses collègues de l’encadrement, lesquelles avaient attesté en ce sens et qu’il importait peu que cette aide-soignante ne fût pas appréciée au sein du service et pouvait avoir des raisons de dénoncer ces faits, une telle allégation n’étant pas de nature à diminuer la force probante de ce témoignage, confirmé par d’autres éléments produits aux débats.

7. Elle a relevé que ce témoignage écrit était corroboré par l’alerte donnée par une autre des collègues du service, ayant confirmé, sous couvert d’anonymat, la consommation d’alcool et dénoncé des mauvais traitements infligés alors aux patients, de sorte que si le caractère anonyme de ce témoignage en altérait la valeur probante, il n’interdisait toutefois pas qu’il fût pris en compte, parmi d’autres éléments concordants.


8. Elle a enfin retenu que les échanges sur les réseaux sociaux auxquels a participé Mme [T] démontraient sa participation à des soirées alcoolisées et que l’ouverture des vestiaires le 7 février 2017 avait également démontré la consommation d’alcool au sein du service puisqu’il avait été découvert une liste de denrées et de boissons à apporter par les différents membres de l’équipe afin d’organiser ces soirées et que même si l’intéressée avait été cette fois-ci chargée d’apporter des légumes, la répartition opérée aux termes de cette liste montrait que ces soirées étaient organisées de façon concertée, active et concernait plusieurs membres de l’équipe.


9. S’agissant de la participation à une séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail, la cour d’appel a ensuite relevé que l’employeur produisait des photographies montrant trois salariées dont Mme [T] posant en maillot de bain dans une salle de suture de l’hôpital, l’aide-soignante attestant à ce sujet : « Lors de ces soirées  »arrosées », les infirmières se sont prises en vidéo en maillot de bain dans le service des urgences. Des photos et vidéos ont d’ailleurs été partagées sur un groupe  »Messenger » auquel j’appartiens ».


10. Elle a en outre énoncé que dans la mesure où ces photos avaient été prises sur le lieu de travail et à destination d’une ancienne collègue de travail, elles relevaient de la sphère professionnelle et étaient légitimement produites aux débats et révélaient un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée.


11. En l’état de ces énonciations et constatations, la cour d’appel, qui a fait ressortir que la production des photographies extraites du compte Messenger portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières employées dans son établissement, a, abstraction faite des motifs justement critiqués par la deuxième branche, mais qui sont surabondants, le grief tiré de la consommation et l’introduction d’alcool au sein de l’hôpital étant établi par d’autres éléments de preuve, légalement justifié sa décision. »

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 octobre 2023, 21-25.452, Inédit